Qui n’a pas entendu : «Sois raisonnable, tu n’es pas/ ça n’est pas raisonnable » de la part de parents, professeurs, éducateurs. Cette expression « sois raisonnable », c’est ce qu’on dit à l’enfant qui veut tout immédiatement, celui qui renonce à ses désirs en revanche sera qualifié de « raisonnable ». Quiconque reproche de n’être pas raisonnable reproche de ne pas agir, penser, fonctionner comme lui le ferait ; « tu as raison » voulant dire, tu penses comme moi. Et l’individu intègrera la raison comme la capacité à se conformer au « raisonnable » du plus grand nombre. La raison raisonnable fabrique de l‘ordre social. Au départ, il y a une vitalité naturelle, un désir, une pulsion de vie mais l’injonction à la raison va remplacer le mouvement spontané par une soumission culturelle. On apprend la politesse, on apprend à s’assoir en silence, à rester dans le rang, on entre dans un ordre policé et raisonaâââble !
Certes, la politesse a ses vertus, elle donne un cadre, des repères et facilite le « Vivre ensemble ». La courtoisie est une qualité appréciable par les temps qui courent. Mais dans le même temps, elle polit, enlève l’imprévu puisqu’il s’agit de respecter la règle du jeu, elle élimine toute nouveauté, toute surprise, tout surgissement du fantasque, du créatif. C’est à la fois sa principale qualité et sa grande limite.
Le fonctionnement raisonnable est une adaptation normale à la vie en collectivité mais quelle liberté reste t-il pour ressentir, penser, agir, intervenir hors du cadre policé et normé ?
Notre liberté individuelle disparait dès notre enfance dans les quadrillages d’espaces de l’architecture de la cour d’école, de la salle de classe, du bureau dont on ne doit déjà plus bouger dès 6 ans. Notre liberté individuelle disparait dans les quadrillages du temps. Emploi du temps, heures de pointes, pointage des ouvriers agrémentés ou non de sonneries d’école, heures de pause de repas, limitation de vitesse… Chaque fois, on veut un bon écolier, un bon ouvrier, un bon soldat. On reçoit une gratification positive quand on agit dans la norme et une punition quand on s’en écarte. Le conditionnement social opère à fond et il fait tourner le monde. La société cherche à lutter contre l’entropie naturelle et elle confond la « raison » avec le « raisonnable », (raisonnable qu’il s’agit de rationaliser). Ce désir de rationalisation finit par générer ce qu’il prétend combattre ; il produit de la folie car il déshumanise, il aliène l’individu à la norme sociale, aux procédures. Les règlements ne sont plus là pour servir l’Homme mais l’Homme est là pour respecter et servir le sacro-saint règlement. Et si la FANTAISIE permettait de trouver un juste équilibre entre raison et passion ? Une sorte de folie faite en conscience : quêtée, exercée, maitrisée, qui engendre de la raison sans raisonnable… C’est le sujet de cet article
Faire oeuvre de fantaisie pour résister ; pour conserver une liberté intérieure, pour ressentir, exprimer une singularité, un sensible, une pensée raisonnée personnelle.
Le dictionnaire Larousse donne cette définition de la fantaisie : « Imagination libre, sans contrainte ni règle ; faculté de création, donner libre cours à sa fantaisie ». La fantaisie est donc une mini création que chacun peut cultiver librement et sans contrainte à toute heure du jour et de la nuit.
Comme le dit Jean Michel Ribes : « je préfère le bordel de la pensée aux raisons closes »
« Il est doux à tout âge de se laisser guider par la fantaisie » Marcel Proust
Si, comme le disait Albert Camus : « Créer, c’est donner une forme à son destin » , alors la fantaisie devient un outil d’émancipation qui nous rend acteur de notre destin ; un outil de transformation personnelle. YOUPI !
C’est parce que la fantaisie est non nécessaire qu’elle est vitale. Elle prouve que l’Homme est plus qu’un animal agissant pour ses seuls besoins ; elle lui accorde une grâce : la liberté d’être, d’agir, de faire ou ne pas faire à sa guise ; un libre arbitre, un acte gratuit, ou en tout cas une tentative de « fuck » au déterminisme… Attention, comprenez moi bien : Il ne s’agit pas de se comporter comme un écolier en mal d’insolence ; il s’agit d’une démarche volontaire de l’esprit philosophique, philosophant.
L’Art, c’est aussi, c’est surtout cette fantaisie créatrice. L’Art, c’est le partage du sensible, la possibilité de rêver le monde en inventant un autre monde et lorsque ce rêve est collectif, ca s’appelle l’utopie.
Et il va sans dire (mais je le dis quand même) qu’Il faut ré-introduire l’utopie dans le discours politique ; on voit bien que nous sommes gagnés par la noirceur de l’information et que nous passons plus de temps à nous plaindre, qu’à faire l’effort d’inventer du neuf ; comme si rêver c’était perdre son temps…
Je vous souhaite après deux années de repli et de peur à cause du covid, du réchauffement climatique, des guerres, d’ajouter de la fantaisie à votre vie. De la distiller également dans vos relations sociales pour découvrir de nouveaux chemins possibles…Plus joyeux, plus créatifs, plus sains.